Les poches du mois : Au loin – Baby Jane – L’ordre du temps

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Le poche du mois

 

« Hakan avait l’impression de distinguer leur odeur. Celle de la puanteur humaine. À quelles brutalités allait-il être soumis ? Car ces hommes étaient de l’engeance des sauvages et des cruels – il le voyait à leurs cicatrices, il l’entendait à leurs ricanements, et surtout il le pressentait à leur calme – le calme de ceux qui savent pouvoir compter sur la violence absolue. »

 

XIXe siècle. Attiré par le nouvel Eldorado qu’est  l’Amérique, le jeune Hakan et son frère Linus quittent la Suède pour se rendre en bateau à New York. Malheureusement, les deux jeunes suédois s’égarent sur les quais de Portsmouth et Hakan accoste seul et sans le sou en Californie. Son seul but est alors de traverser le pays à pied afin de retrouver son frère, en remontant la piste des pionniers qui se ruent vers l’ouest. Les embûches et les mauvaises rencontres le pousseront bientôt à s’éloigner de la présence des hommes et à s’enfoncer dans une nature hostile et sauvage…

 

« Se mouvoir à travers le désert palpitant de chaleur, c’était comme sombrer dans la transe qui précède immédiatement le sommeil, quand la conscience mobilise ses ultimes forces pour tendre vers sa propre dissolution. »

 

Déserts, plaines et canyons. Tenancière de saloon, naturaliste fou, indiens et chercheurs d’or : tous les ingrédients du western sont là et pourtant, Hernan Diaz prend le genre à contrepied, se joue des codes et nous offre avec Au loin un formidable roman initiatique. L’errance de cet homme solitaire, ce géant Hakan, surnommé the Hawk, dont la légende se propage à travers les grands espaces sauvages américains, est à couper le souffle.

 

Absolument sublime.

 

Au loin, Hernan Diaz, 10/18

Denis

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Poche du fonds

« [La voix de Piki] n’était pas « veloutée », « profonde » ou « rauque », non, elle était aussi suave que la peau des seins, comme une caresse de velours dans le cou, comme une main chaude sous la chemise. Une voix qui s’abreuverait de chocolat et dégusterait des amandes. Et elle était rauque, oui, comme la forêt, par une nuit d’été devient rauque et limpide quand les ténèbres enveloppent les arbres sous la clarté du soleil. L’écouter procurait la même sensation que de poser la tête sur un oreiller de pétales de rose et de lis. Le timbre de sa voix était pareil à l’arôme de la cardamome. Et de la cannelle. »

 

Piki a longtemps été la fille la plus cool d’Helsinki. Charismatique, engagée, déterminée : elle a connu des dizaines de filles. Elle et la narratrice se lient d’amour par un été caniculaire qu’elles passent enfermées pour échapper à la chaleur et se découvrir. Entre elles, c’est la passion et les promesses de futur à deux. Leur histoire est charnelle et intense.

 

Mais Piki vit recluse dans son appartement car elle est submergée de crises d’angoisse qui l’empêchent de gérer son quotidien. C’est son ex-copine, Bossa, qui passe régulièrement lui apporter ses courses (surtout le lait et la bière dont elle ne peut se passer) et laver son linge. La narratrice, quant à elle, n’est guère mieux lotie puisqu’elle est dépressive, mais elle tente d’aider Piki malgré ses propres difficultés. Sans argent, elles décident de monter une affaire bien particulière et se font passer pour une femme prête à porter des dessous et à les vendre aux hommes intéressés. Mais bientôt, la belle harmonie s’étiole…

 

« Et il y avait autre chose, que la vie de Piki indiquait encore moins. Cet autre chose, dans la classification des maladies, porte le code F41.0 : trouble panique. J’avais lu cela dès le début dans ses papiers ; mais les troubles paniques avaient beau être monnaie courante dans mon entourage, je ne comprenais pas ce que cela signifiait dans la pratique. Ni ce que ça peut être de vivre avec. »

 

C’est avec une écriture fluide que Sofi Oksanen nous embarque dans le quotidien de ces deux femmes paumées qui tentent de garder la tête hors de l’eau. Un roman brut, d’amour, de sexe, de violence et de jalousie, un texte sur la difficulté de s’accorder en couple et à vouloir sauver la personne qu’on aime aux dépens de soi-même.

 

Baby Jane, Sofi Oksanen, Le Livre de Poche

Camille

 

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Essai du mois

 

« Nous voyons l’eau du verre comme les astronautes voient la Terre depuis la Lune : une paisible lueur bleutée. De la Lune, on ne voit rien de l’agitation exubérante de la vie sur notre planète, des plantes et des animaux, des amours et des désespoirs. Juste une bille bleue bigarrée. De la même façon, dans les reflets d’un verre d’eau se dissimule l’activité tumultueuse d’une myriade de molécules, bien plus nombreuses que tous les êtres vivants sur Terre. »

 

Carlos Rovelli, physicien de renommée internationale, a consacré sa vie à tenter d’élucider l’un des plus grands mystères de la physique : qu’est-ce que le temps ? Cet ouvrage de vulgarisation permet d’appréhender cette grande question à travers l’histoire de la physique et l’évolution de la nature du temps au fil des découvertes, de l’Antiquité jusqu’au XXe siècle. Cette lecture nous fait réaliser que cette conception du temps tel que nous nous le représentons, cette « perception floue », est illusoire.  Aujourd’hui, on sait que le temps défile différemment selon que l’on se trouve en plaine ou en haut d’une montagne, selon si l’on bouge ou non, qu’il varie en différents points de l’univers. La théorie de la relativité et la physique quantique ont désormais presque achevé cet effritement de la nature du temps. Existe-il, tout simplement ?

 

« La vision de la réalité est le délire collectif que nous avons organisé ; il a évolué, et s’est révélé suffisamment efficace pour nous conduire au moins jusqu’ici. »

 

Par ses révélations scientifiques, mais aussi ses réflexions philosophiques et envolées poétiques, cet essai nous éclaire sur notre perception générale du monde qui nous entoure. Car le temps est étroitement lié aux questions de la création de l’univers et de l’existence des trous noirs, mais aussi de l’origine de la conscience, et du fonctionnement de la vie. Et c’est là tout le talent de Carlos Rovelli : contraindre son lecteur à s’extirper d’une vision conditionnée de la réalité. Un régal !

 

L’ordre du temps, Carlo Rovelli, Champs/Flammarion

Denis

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